mardi 21 juin 2016

Portrait / La Table de Manon

Rencontre avec Manon Schenck et David Delmas





Une fois n’est pas coutume, nous sommes allés à la rencontre de jeunes indépendants récemment installés sur le territoire. Il s’agit de Manon Schenck et de David Delmas, propriétaires du restaurant « La Table de Manon » au cœur de la vieille ville. Elle, est originaire d’Alsace. Lui, est un enfant du pays.







ADL : A l’occasion de l’ouverture de votre établissement, la presse a rédigé quelques articles. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur vous. C’est ainsi que j’ai lu que vous, Monsieur Delmas, étiez originaire de Bomal.

David Delmas : En effet ! Non seulement, je suis originaire de la commune de Durbuy mais également issu du milieu de la restauration. Mes parents ont tenu La Gargotte à Bomal ainsi que Le Sauvenière à Barvaux.

ADL : Quel est votre parcours ?

D.D. : Après mes première et deuxième secondaires à l’Institut du Sacré Cœur à Barvaux, j’ai bifurqué vers l’école hôtelière de La Roche-en-Ardenne avant d’obtenir mon diplôme en gestion hôtelière à Liège. Ensuite, j’ai fait mon sac et je suis parti. L’hôtellerie est un métier qui permet de bouger et ça correspondait tout à fait à mes envies de l’époque. J’étais curieux de voir ce qui se passait ailleurs. J’ai traversé la Manche pour aller en Grande-Bretagne et parfaire mon anglais. Un peu moins d’un an plus tard, je suis revenu travailler l’été aux côtés de mes parents, le temps de trouver quelque chose d’autre car j’avais l’objectif de repartir.

ADL : Ce qui vous a mené en France…

D.D. : En Alsace, précisément. C’est une région que j’affectionne tout particulièrement.
J’ai travaillé en salle durant un an au Novotel de Colmar. J’y ai appris énormément de choses intéressantes, notamment au niveau de la gestion. Ceci dit, je ne me sentais pas totalement à l’aise dans une aussi grande structure, l’esprit « groupe » (NDLR : Le Novotel appartient à la chaîne Accor) ne me convenait pas. Dans une telle entreprise, les notions de rentabilité et de chiffres sont omniprésentes.

J’ai ensuite eu  une opportunité du côté de Munster, à La Verte Vallée, un hôtel de 110 chambres. J’y ai travaillé comme « assistant maître d’hôtel ». Nous étions une équipe de 25 personnes en salle. Après 2 ans, je suis passé « maître d’hôtel ». J’y suis resté 8 ans.  Durant ces années, j’ai rencontré beaucoup de personnes intéressantes et c’est aussi à ce moment là que j’ai fait la connaissance de Manon.
Travailler à La Verte Vallée m’a permis d’être impliqué dans l’apprentissage des jeunes en rentrant, par exemple, dans le milieu des jurys professionnels. Ceux-ci sont constitués, notamment, lors des examens que passent les élèves des écoles hôtelières.
C’est également à cette époque que j’ai participé à des concours : « La Coupe Georges Baptiste », qui est, pour faire simple, le concours du meilleur jeune maître d’hôtel de France où j’ai été trois fois finaliste.


Le « Trophée Paul Haeberlin », seul trophée international qui réunit les 3 métiers de la restauration, c’est-à-dire la cuisine, la salle et la sommellerie. Nous avons fini 3ème, c’est un concours qui s’organise par établissement, derrière deux grands noms de la gastronomie française et internationale.

Ensuite, en Alsace toujours, je suis parti travailler à La Chenaudière, à Colroy-la-Roche. C’est un établissement haut de gamme faisant partie de l’association « Relais & Châteaux ». Là encore, j’ai appris tout un tas de choses.

Je suis également parti un an au Luxembourg au sein de l'établissement "Ma Langue Sourit".

Ensuite, nous sommes partis à la pointe nord de la Bretagne, dans le Finistère, dans un établissement qui restructurait toute son équipe et qui avait comme objectif avoué de décrocher une étoile au Michelin. Challenge intéressant à relever. L’établissement était beau, la région également ! Nous y avons passé quasi 4 années. L’étoile est tombée environ 1,5 an après notre arrivée. Pendant une semaine, l’ambiance était euphorique. Nous sommes contents d’avoir vécu une telle expérience !

ADL : C’est tout ? (rires)

D.D. : Et bien, durant les 4 ans passés là-bas, l’envie de lancer notre propre affaire a commencé à nous démanger.

ADL : Avant de nous parler de votre projet actuel, parlons un peu de vous, Manon Schenck…

Manon Schenck : Cela va faire 10 ans que je cuisine ! J’en avais 14 quand j’ai commencé comme apprentie : un mi-temps à l’école et l’autre chez un patron. Dans ce cas-ci, c’était à La Verte Vallée.
Ensuite, après avoir décroché mon C.A.P. (Certificat d’Aptitude Professionnelle), j’ai continué mes études pour obtenir mon brevet professionnel, toujours en alternance (moitié chez le patron, moitié à l’école).
Je suis ensuite allée travailler 2 ans, dont 6 mois en tant que « chef de partie », à l'Auberge Frankenbourg, une étoile au Michelin, à La Vancelle, dans le Bas-Rhin. Et puis, direction le Luxembourg où j’ai travaillé en tant que « chef de partie » dans la cuisine du chef Cyril Molard du restaurant « Ma Langue Sourit ». Enfin, direction l'hôtel-restaurant La Butte, en Bretagne, où j’ai travaillé comme « chef de partie » avant de passer « second de cuisine » (NDLR : échelon juste sous le chef) quand l’étoile est tombée. Ce fut, pour moi, une belle récompense !


C’est aussi à cette époque que j’ai eu la chance d’aller en stage de perfectionnement auprès de feu Monsieur Benoît Violier, 3 étoiles au Guide Michelin, à l’Hôtel de Ville de Crissier en Suisse.

ADL : Avez-vous également fait des concours ?

M.S. : Oui, bien sûr ! J’ai notamment été médaille d’or pour le titre de « Meilleure apprentie d’Alsace », finaliste « Meilleur apprenti de France » et je suis arrivée 3ème au « Trophée Femme Chef ».

ADL : Ces concours : est-ce une envie personnelle ou bien celle des patrons ?

M.S. : Pour ma part, c’est plutôt une envie personnelle. Question de voir ce dont on est capable.

ADL : Participer à des concours, c’est aussi représenter la maison pour laquelle vous travaillez. Il faut être sûr de soi, non ?

D.D. : En effet ! Mais, si on est bien classé, c’est aussi une reconnaissance pour l’établissement dans lequel on travaille. Il faut savoir qu’il y a des patrons qui jouent le jeu et d’autres pas. Pour ma part, j’ai toujours eu de la chance d’avoir des patrons qui m’ont laissé faire, voire même, qui m’ont aidé, entraîné et m’ont laissé du temps pour faire ces concours.

ADL : Vous êtes jeunes et vous avez déjà une belle carrière derrière vous ! Il ne restait qu’à vous lancer un nouveau défi…

M. S. : Oui et, finalement, dans notre métier, c’est un peu un aboutissement !  En plus, on a la chance d’être un couple et d’être complémentaires. David en salle et moi, en cuisine. Cela nous semblait donc tellement logique d’avoir, un jour, notre propre établissement.

ADL : Comment avez-vous su que c’était le bon moment pour voler de vous lancer ?

D.D. : Nous y pensions déjà depuis quelques années. Nous étions même sur le point de le faire mais, en posant les choses à plat, nous avons constaté que nous n’étions pas encore tout à fait prêts. Nous avons donc laissé mûrir le projet.
Forts de notre expérience vécue dans le Finistère, où l’un et l’autre assumions des postes à responsabilités, nous avons su que le moment était venu. Nous avions des patrons qui faisaient relativement confiance à leurs équipes : nous nous sommes tous les deux retrouvés avec des responsabilités que nous n’avions jamais eues ni ailleurs, ni auparavant. Comme par exemple, la gestion des commandes des boissons, du personnel, des extras, les rencontres avec les fournisseurs, les commerciaux, la négociation des tarifs… Pouvoir gérer ces tâches nous a conforté dans l’idée que nous étions prêts à nous lancer. On a donc franchi le pas !

ADL : Et vous voilà à Durbuy…

D.D. : Même si nous avons hésité avec l’Alsace, région d’origine de Manon. Nous sommes d’ailleurs allés voir quelques établissements en Alsace mais il faut reconnaître que la région est chère et que ce sont de plus grosses structures, souvent entre 80 et 100 couverts. Cela nous aurait obligés à engager du personnel, chose avec laquelle nous ne nous sentions pas à l’aise pour démarrer un projet. Nous recherchions plutôt une structure à taille humaine dans laquelle nous pouvions commencer à travailler uniquement tous les deux, en tout cas, dans un premier temps. Ne trouvant rien qui nous correspondait en Alsace, nous nous sommes tournés vers ma région d’origine. Je me souviens que nous avons fait l’aller-retour de Bretagne durant nos 2 jours de congé pour venir voir « L’Auberge du Marcassin ». Nous avons eu un coup de cœur pour l’établissement qui est doté d’une belle terrasse avec jardin.



ADL : Comment se passe la reprise d’un établissement déjà existant ? Quelles sont les réactions des clients habitués ?

D.D. : Certains clients poussent la porte et sont surpris du changement de personnes, de décoration. D’autres, qui réservent par téléphone (nous avons gardé le même numéro), sont aussi surpris d’entendre « La Table de Manon, bonjour ». On leur explique donc que nous avons repris l’établissement et que la cuisine n’est plus la même. On souhaite communiquer clairement sur le fait qu’ils ne retrouveront plus ni la même ambiance, ni les mêmes plats.

ADL : En parlant cuisine, la provenance des produits, une chose à laquelle vous êtes particulièrement attentifs ?

D.D. : La cuisine des produits locaux, c’est quelque chose qui est bien connu en France. Le pli de travailler les produits locaux est pris depuis plusieurs années. Les producteurs sont mis en avant sur les cartes et le client français est très demandeur. Ce qui n’est pas encore le cas en Belgique. Disons qu’ici, ça arrive tout doucement. C’est une bonne chose que la valeur « produit de terroir » soit de retour et qu’on balaie un peu la grande distribution et les grosses productions. Par contre, les producteurs belges ne jouent pas encore le jeu avec les professionnels de la restauration quant à la négociation des tarifs, par exemple.


ADL : Vous vous êtes installés dans une petite ville touristique, certes, mais dans laquelle les concurrents sont nombreux. Comment comptez-vous vous démarquer ?

M.S. : C’est vrai que ça fait un peu peur de voir le nombre d’établissements qu’il y a dans la vieille ville, sur la commune et même aux alentours. C’est sûr qu’on se demande s’il y a bien du travail pour tout le monde. On a donc essayé de se situer entre la cuisine dite « traditionnelle » et la cuisine gastronomique. On s’est dit qu’il y avait une place intermédiaire à prendre, des produits à travailler que les autres restaurants ne travaillent pas. Arrivant de Bretagne, nous avons gardé des contacts avec des petits pêcheurs qui nous livrent du homard en direct. On a fait du homard notre fer de lance.

ADL : Comment vous êtes-vous fait connaître ? Qui est votre clientèle ?

D.D. : Nous avons d’abord commencé par récupérer le carnet d’adresses de mes parents. Cela constituait déjà une bonne base. En ce moment, la majorité de notre clientèle est une clientèle locale au sens large. Ce sont aussi bien des gens d’ici que de Liège et Namur. Nous en sommes très satisfaits. Et ce sont des clients qui reviennent. Nous sommes donc d’autant plus contents ! Nous ne visons pas un type de clientèle en particulier. Les gens qui ont envie de se faire plaisir avec un bon repas… sont les bienvenus ! (rires)

ADL : Vos clients reviennent parce qu’ils sont satisfaits. Il n’y a qu’à jeter un œil sur votre page TripAdvisor pour le constater. Que des éloges ! Les clients parlent de votre restaurant comme le futur étoilé de la vieille ville !

M.S. : En effet ! Ca fait évidemment bien plaisir ! Mais comme nous débutons, notre objectif n’est pas celui-là ! Aujourd’hui, nous faire une clientèle, est notre principal souhait !

ADL : Pour vous y aider, comptez-vous développer un site Internet ?

D.D. : Oui, certainement. Mais vu que cela représente un certain budget, en attendant, on fonctionne avec une page Facebook qui nous assure déjà une bonne présence sur le net.

ADL : Votre restaurant est ouvert depuis le mois de février. Vous venez sans doute de vivre des mois riches et intenses à tous niveaux : émotion, stress…

M.S. et D.D. : Oui et le changement est radical ! Nous avons toujours travaillé dans de grandes équipes et là, on ne se retrouve plus qu’à deux… Un nouveau défi !




La Table de Manon
Rue Comte Th. d'Ursel 35 | 6940 Durbuy
Tél. : 086 21 10 26
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Entretien rédigé par Caroline Lamy, été 2016