mardi 19 décembre 2017

Portrait | Patrick Lekeu, artisan tapissier-garnisseur à Barvaux









C'est chez lui, en toute simplicité et avec beaucoup de modestie, que Patrick Lekeu a accepté de nous recevoir pour nous parler de son métier. Une profession dans laquelle sa réputation n'est plus à faire !













ADL : Monsieur Lekeu, depuis quand exercez-vous la profession de tapissier-garnisseur et quelle a été votre formation ? 

Patrick Lekeu : Cela fait 43 ans que je suis dans le métier. Je n’ai pas suivi de formation : je dois avoir ça dans le sang ! Mes grands-parents étaient également tapissiers-garnisseurs. Ceci explique sans doute cela !

ADL : En quelques mots, en quoi consiste le métier ?

P.L. : Il s’agit principalement du recouvrement de sièges et de fauteuils. Pour le secteur Horeca, qui représente la moitié de ma clientèle, le travail consiste, bien souvent, en la rénovation de banquettes modernes. Les particuliers, quant à eux, me demandent généralement la réalisation de prestations sur du mobilier ancien. Ce que je préfère. Il m’arrive également de refaire des sièges de voitures, en particulier des véhicules ancêtres.


ADL : S’installer comme tapissier-garnisseur demande-t-il un gros investissement de départ ?

P.L. : Non, pas vraiment. Il faut se doter d’un bon compresseur, d’une machine à coudre industrielle et de quelques outils comme des pinces, des tenailles, des  ciseaux, un marteau, une visseuse… Concernant le tissu, je fonctionne uniquement sur commande : des représentants passent et me laissent des échantillons et, en fonction du choix du client, j’achète la quantité de tissu nécessaire.
Personnellement, j’ai également fait le choix d’investir dans une camionnette.



ADL : Vous arrive-t-il de devoir effectuer des recherches documentaires pour restaurer un meuble d’époque, un fauteuil de style ?

P.L. : Non, jamais. Quand je dégarnis un fauteuil, par exemple, j’observe la manière dont il a été conçu et je le regarnis comme il l’était à l’origine. Je n’effectue aucun changement. Et si le travail s’annonce complexe, je prends quelques photos avant afin d’avoir des points de repère.


ADL : En moyenne, combien de temps ça prend de dégarnir et ensuite regarnir un fauteuil ?
P.L. : Je fixe toujours un délai de 15 jours. La première semaine est nécessaire afin de commander et de recevoir le tissu. La deuxième, pour le garnissage. Je respecte toujours le délai annoncé.

ADL : Quel matériaux utilisez-vous le plus fréquemment ?

P.L. : La grande tendance, en ce moment, c’est le tissu « aspect cuir vieilli ». Il est agréable au touché, il est facile à travailler, il passe bien dans tous les styles d’intérieur, il est chaud en hiver et frais en été. Pour le rembourrage, j’utilise des sangles, des ressorts et de la toile de jute.


ADL : Comment sélectionnez-vous vos fournisseurs ?

P.L. : Suivant la qualité du tissu. Je travaille avec  4 ou 5 représentants qui savent que je veux un tissu qui soit de bonne qualité mais qui ne soit pas, non plus, hors de prix. Je propose donc une gamme de textiles dont la valeur oscille entre 30 et 80 € du mètre. J’aime que le client apprécie le rapport qualité/prix de la rénovation de son mobilier.



ADL : Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?

P.L. : Il faut beaucoup de patience et savoir rester calme ! Certains travaux sont parfois assez complexes à réaliser. Par exemple, pour placer le tissu, il faut être attentif au sens de celui-ci. Si je me trompe, il y aura une différence de teinte. Il me faudra alors tout démonter et recommencer.

ADL : Retaper un vieux fauteuil revient-il plus ou moins cher que d’acheter un neuf ?

P.L. : Ça revient moins cher car le mobilier ancien est de meilleure qualité. Savez-vous qu’actuellement, pour certains salons en « cuir » (NDLR : Notez bien les guillemets !), les fabricants vaporisent un produit qui laisse penser aux clients qu’ils achètent effectivement un salon en cuir ? Dans le mobilier ancien, les boiseries sont toujours de meilleure qualité et les tissus et matières intérieures que j’intègre lors du garnissage sont également de qualité supérieure. J’accorde une importance capitale à la qualité des tissus et autres matières avec lesquelles je travaille. Je suis intransigeant là-dessus ! Faire appel à un tapissier-garnisseur, c’est aussi amener de l’originalité dans son intérieur, c’est avoir une pièce unique chez soi !

 



ADL : Depuis quelques années maintenant, le secteur de la décoration de la maison est en plein boum. Sans doute devez-vous le constater dans votre métier !

P.L. : Ce sont des cycles. Dans les années 60, on jetait les vieux fauteuils comme les « Voltaire », par exemple. Dans les années 70, 80 et 90, c’était à la mode de les transformer. Au début de ma carrière, j’ai remis en état plus de 4 500 fauteuils de ce type en 7 ans pour un même client ! Durant les années 2000, acheter du neuf était, à nouveau en vogue. Aujourd’hui, la tendance est à la récupération et à la transformation. Je le sens dans mes travaux, dans la demande des clients.

ADL : Le métier a-t-il évolué ?

P.L. : Ce sont surtout les matériaux qui ont évolué. Par exemple, pour faire les fonds de fauteuil ou de chaise, j’utilise ce qu’on appelle des bourrelets durs qui offrent le confort de ne pas couper la circulation du sang sous les genoux. Auparavant, je devais créer ces fonds avec de la paille et de la toile de jute. D’une vingtaine d’heures de travail, je suis passé à un quart d’heure ! Concrètement, pour refaire un Voltaire, de A à Z, avec l’ancienne méthode, il fallait compter environ vingt-cinq heures. Aujourd’hui, il est totalement remis à neuf en trois ou quatre heures.

ADL : Qui sont vos clients ?

P.L. : Outre les particuliers, je travaille également beaucoup avec des architectes qui me passent commande pour leurs propres clients, souvent des restaurateurs ou des chaînes de restauration comme « Pizza Hut » ou  « Exki ». Dans ce cas, je dois accepter de travailler la nuit, question de ne pas devoir fermer l’établissement. Il faut donc s’activer de 22h à 6h, penser à prendre tout son matériel (mes housses sont prêtes, « ne reste qu’à découvrir et recouvrir ») et composer avec des conditions de travail pas toujours agréables (travailler dans les recoins, rester agenouillé…). Certains architectes me font confiance depuis des années parce qu’ils savent que j’aurai terminé le travail dans les temps. Ils n’hésitent pas à me recommander. Dans le secteur, je peux le dire, j’ai bonne réputation. Et le bouche-à-oreille reste ma meilleure publicité.



ADL : Quand on vous commande un travail, vous laisse-t-on carte blanche ou, au contraire, est-ce des demandes bien précises ?

P.L. : Le client sait exactement ce qu’il veut. La seule chose sur laquelle j’interviens est la qualité de la matière. Je souhaite que le travail réalisé tienne au moins 10 à 12 ans. Il y va de ma réputation.

ADL : Y a-t-il une réalisation, une rénovation qui vous a marqué ? Une demande particulière ?

P.L. : Il y a une dizaine d’années, de nouveaux bureaux ont été aménagés à Bruxelles, devant la gare du Midi, pour des ingénieurs de la SNCB. Dans ce bâtiment de 7 étages, des architectes m’ont demandé d’habiller le 5ème étage. J’ai dû réaliser des panneaux capitonnés de 2m60 sur 1m40 avec environ 10 000 boutons à poser ! J’avais un délai de réalisation serré. C’était un très gros boulot.

ADL : Travaillez-vous avec du personnel ?

P.L. : Non, je travaille toujours tout seul. La présence d’une personne dans mon atelier me fait perdre tous mes moyens. Je travaille alors beaucoup moins vite car je suis moins concentré. Par contre, j’ai déjà essayé de former des jeunes à la profession.

ADL : Tapissier-garnisseur, un métier d’avenir ?

P.L.
 : Ça pourrait mais il y en a de moins en moins car les programmes d’enseignement ne sont pas à jour, selon moi. Dans certaines écoles, les professeurs apprennent encore aux élèves à travailler à l’ancienne. Vu qu’ils passent énormément d’heures sur un fauteuil pour le remettre à neuf, ils ne peuvent pas être compétitifs dans leur prix. C’est pour cette raison que beaucoup mettent la clé sous le paillasson. Les organismes de formation n’apprennent pas aux gens à travailler avec les nouveaux matériaux et les nouvelles méthodes. C’est dommage !

ADL : On lit sur votre carte de visite : « Artisan tapissier-garnisseur ». Avez-vous déjà entendu parler de la Commission Artisans du SFP Economie ?

P.L. : J’ignore de quoi il s’agit.


ADL : Depuis le 1er juin 2016, le statut d’artisan en Belgique est enfin, diront certains, reconnu légalement. Il est donc possible, via cette Commission Artisans, d’introduire un dossier afin d’obtenir une reconnaissance légale délivrée pour une durée de 6 ans. Cette reconnaissance est octroyée en fonction de critères tels que le caractère authentique de l'activité, l'aspect manuel du travail et le savoir-faire de l'artisan. L’artisan reconnu disposera d’un label et bénéficiera ainsi d’une plus grande visibilité auprès du public.

P.L. : Je n’en ai jamais entendu parler. Mais l’information est intéressante à connaître.

ADL : Avez-vous déjà participé à des événements comme la « Journée de l’Artisan » ou encore  « Wallonie Week-End Bienvenue » ?

P.L. : J’ai participé une fois à la « Fête des Vieux Métiers » à Vaux-Chavanne mais je n’ai pas particulièrement apprécié l’expérience.  Comme je vous le disais, la présence de personnes autour de moi pendant que je travaille me perturbe. J’ai besoin d’être au calme pour rester concentrer sur ce que je suis en train de faire. Et pourtant, je sentais l’intérêt des gens autour de moi.

ADL : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait se lancer dans le métier ?

P.L. : S’engager à tenir les délais fixés aux clients. Un timing respecté, c’est un client heureux. Il s’agit aussi, bien évidement, de lui livrer un travail impeccable, cela va de soi !



ADL : Vous vendez également des matelas à eau…

P.L. : En effet, c’est également un service que je propose depuis plus de 17 ans mais que je ne mets plus trop en avant pour une simple raison : vous savez, quand on installe un matelas à eau, il faut environ trois heures pour le remplir et il est nécessaire de rester à côté pour surveiller que tout se passe bien. Attendre que ça se remplisse, sans rien pouvoir faire d’autre, c’est très difficile pour moi ! J’assure plutôt le service après-vente et me limite à la clientèle existante. Parce qu’une fois qu’on a dormi sur un matelas à eau, c'est difficile de repasser à un matelas traditionnel.

ADL : Vous êtes également le gérant de la boutique Irrésistible qui, auparavant (NDLR : encore avant d’être un restaurant) était un café tenu par vous-même. Vous avez de multiples casquettes !

P.L. : En 1994, un peu dégoûté par les exigences d’une cliente très pointilleuse, j’ai voulu lever le pied concernant mon activité de tapissier-garnisseur. C’est ainsi que je me suis retrouvé à tenir un café de nuit car mes clients étaient principalement des garçons de café de Durbuy qui venaient se détendre après leur service. C’est une expérience qui a duré deux ans. Ensuite, il y a cinq ans d’ici, j’ai eu l’occasion de racheter le bâtiment. Et c’est ainsi que la boutique Irrésistible est née. Depuis l’an dernier, le magasin s’est agrandi et nous avons aussi ouvert un département « grandes tailles ». Les clients viennent de Marche, Nandrin, Liège ainsi que de la commune, bien entendu !





Entretien réalisé par Caroline Lamycaroline.lamy@durbuy.be


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